S’implanter…sans se planter

11 mars 2012

S’implanter…sans se planter

Chaque entreprise ayant goûté au succès avec un produit donné aspire, bien légitimement d’ailleurs, à une extension de son activité vers des marchés ou des secteurs de marché nouveaux. Le premier cas concerne les efforts de l’entreprise de promouvoir son principal produit dans un pays ou une région du monde où il était jusqu’alors inconnu tandis que le deuxième cas est celui de la promotion d’un bien ou un service nouveau, ceci dans un secteur qui peut souvent être très éloigné de la sphère d’activité habituelle de l’entreprise en question.

Chacun de ces deux cas de figure recèle ses propres risques et périls. Quand on « attaque » un nouveau marché dans le sens géographique du terme, c’est justement la nouveauté géographique- culturelle qui peut créer des incertitudes quant au bon accueil d’un produit pourtant très bien vendu dans son pays d’origine (ou sa région). Dans le deuxième cas, c’est la nouveauté du produit lui- même, parfois très différent de ce dont cette marque s’était déjà imposée sur le marché, qui peut fragiliser les espoirs d’une réception favorable de la part des consommateurs.

Dans son livre 100 Grands flops de grandes marques, Matt Haig donne des exemples concrets d’échecs de ce deuxième type sans pour autant oublier les « flops » culturels de quelques grandes firmes ayant ambitionné une expansion géographique. Pour ce qui est de la volonté d’une extension sectorielle qui sous-entend une diversification des produits et la conquête de secteurs du marché différents de celui où se situait jusqu’alors l’activité de l’entreprise, il apparaît que c’est une démarche tout aussi délicate que l’épanouissement multinational. Là encore, on n’a droit à la moindre erreur et toute prétention mégalomane est pénalisée – à moins qu’elle ne soit pas défendue par une robuste connaissance des attentes des consommateurs et par la parfaite qualité du produit lancé lui- même. Sachant aussi que dans la catégorie des « erreurs » à éviter, il y a aussi cette erreur toute spécifique qui s’appelle « ambigüité » et qui a jusqu’alors été fatale à plus d’un producteur. Les 100 Grands flops rappelle à ce sujet l’échec essuyé par Pepsi à la suite du lancement, dans les années 90, d’une boisson de type « coca » mais qui, en même temps, prétendait avoir l’apparence cristalline de l’eau minérale.

En effet, croyant percevoir d’une manière visionnaire un intérêt accru, chez les consommateurs, pour la désaltération « pure » et espérant trouver dans cette pureté l’argument ultime d’une émancipation par rapport à son rival de toujours, Coca cola, Pepsi a produit et lancé sur le marché en 1992 son coca incolore qu’elle a appelé Crystal Pepsi. Mais… à la différence de la boisson sans goût qu’il a introduite sur le marché, la leçon que Pepsi en a dû tirer avait un goût facile à déterminer : c’était une leçon bien amère, quant à elle. Peu amateur de produits hybrides et ambigus et ne trouvant pas dans le nouveau- venu le côté « pepsi » et « coca » auquel il s’attendait, le large public a effectivement boycotté l’aventure « Crystal » de la célèbre marque de boissons.

L’ambigüité est souvent à la base également de la réticence du marché étranger à adopter un bien ou un service qui a pourtant fait la notoriété de son entreprise dans son pays d’origine. Et quoi plus que la traduction d’une langue dans une autre risque de laisser flotter comme un air d’ambigüité et d’incompréhension autour du vrai message de promotion d’un produit ? Les exemples sont nombreux et des plus frappants. Cherchant à s’implanter, de célèbres marques se sont carrément… plantées dans leur démarche de conquérir des marchés nouveaux et culturellement différents. Tout cela – à cause d’une piètre traduction du message publicitaire. Ainsi, tout délicieux, bien rôtis, sortant tout chauds du four, les poulets de Kentucky Fried Chicken ont reçu un accueil très froid à Hong Kong où ils ont pourtant voulu triompher sous le slogan « Finger lickin’ good » (litt. « Bon à s’en lécher les doigts »). La traduction de ce message comme « Dévorez vos doigts ! » avait en effet de quoi laisser perplexe le consommateur hong- kongais et de l’éloigner de l’offre si alléchante. La promotion de Schweppes Tonic en Italie devait, elle aussi, son insuccès à une traduction plus que maladroite et qui a fait de cette boisson… l’« Eau pour toilette Schweppes ».

Dessy Damianova/Chroniqueuse chez Le Monde Economique

 

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