« Vanilla tax avoidance », un nouveau concept ?

17 mars 2015

« Vanilla tax avoidance », un nouveau concept ?

Au cours du dernier mois, Lord Fink a fait une déclaration qui a semé la controverse au Royaume-Uni. Il a admis avoir recouru à « tax avoidance », tout en précisant que la mesure fiscale qu’il a entreprise devait être qualifiée comme « vanilla » ou encore « bland », située au premier échelon de toute une panoplie d’autres mesures plus agressives.[1] Il a par ailleurs ajouté que « tax avoidance » était une pratique fréquente, utilisée par « tout le monde ».[2]

Les déclarations de Lord Fink sont de nature à illustrer la confusion générale qui règne en matière de différentes pratiques, qui varient entre l’économie d’impôt et les infractions fiscales, visant à réduire la charge fiscale. Cette contribution propose d’éclaircir les différences entre ces pratiques diverses par le biais d’une vue d’ensemble sommaire.

La planification fiscale

La planification fiscale (« tax planning », « tax minimization » ou encore « tax mitigation » en anglais) consiste à analyser de façon globale et systématique les moyens d’optimiser la charge fiscale d’un contribuable.[3] Le but de la planification fiscale est ainsi d’aboutir à une économie d’impôt.

La planification fiscale et l’économie d’impôt d’y résultant constituent un comportement licite,[4]admise par la jurisprudence constante du Tribunal fédéral ainsi que celle de la Cour de justice de l’Union européenne.[5]En effet, chaque contribuable est libre d’organiser son patrimoine et ses relations économiques de manière à minimiser sa charge fiscale. Autrement dit, le contribuable ne peut pas être contraint de choisir la forme fiscale la plus « rentable » pour les caisses de l’administration fiscale.[6] Dès lors, le fisc est en principe lié par la forme librement choisie par le contribuable et ne peut lui substituer une autre forme conduisant au même résultat mais plus onéreuse d’un point de vue fiscal.[7]

Par exemple, réalise une économie d’impôt une entreprise qui déplace son siège dans un canton fiscalement plus avantageux ou un actionnaire qui vend ses actions peu avant la distribution de dividendes pour obtenir un gain en capital exonéré au lieu d’un rendement imposable.

L’évasion fiscale

Si l’économie d’impôt est réalisée par le biais des « constructions trop agressives », le contribuable peut franchir le pas d’une évasion fiscale (« tax avoidance » en anglais).[8] Bien que pas pénalement répréhensible, l’évasion fiscale constitue un comportement illicite.[9]

Selon la jurisprudence bien établie, l’existence d’une évasion fiscale est admise lorsque trois conditions cumulatives sont remplies : (i) le contribuable choisit une forme insolite, inadéquate ou anormale, en tout cas inadaptée aux données économiques, (ii) le contribuable vise à réaliser une économie d’impôt par cette forme insolite et (iii) si la construction est admise par les autorités elle aboutit effectivement à une économie d’impôt notable.[10]

Il en découle que le critère déterminant pour départager la planification fiscale de l’évasion fiscale est celui de la forme insolite.[11]Par exemple, commet une évasion fiscale l’entreprise qui déplace son siège statutaire dans un canton fiscalement plus avantageux tout en gardant son siège effectif dans le même canton ou l’actionnaire qui vend ses actions avant chaque distribution de dividendes et les rachète par la suite.[12]

A la réalisation des trois conditions cumulatives, le fisc est légitimé à faire abstraction de la forme choisie par le contribuable pour procéder à une analyse de la réalité économique de l’opération en cause.[13]L’imposition sera faite conformément à cette analyse. L’économie d’impôt ne pourra ainsi pas être effectuée dans la plupart des cas.

Bien qu’elles soient différentes, la planification fiscale et l’évasion fiscale présentent des similitudes, qui les distinguent des infractions fiscales. Premièrement, il s’agit de deux mesures cherchant à éviter que les éléments constitutifs de la norme d’imposition soient réalisés.[14] Le contribuable intervient ainsi en amont, à la différence de ce qui se passe pour les infractions fiscales.[15] Deuxièmement, le contribuable présente l’opération comme elle se déroule effectivement, sans cacher certains faits, dans les deux cas.[16] Finalement, ces deux mesures ne sont pas pénalement répréhensibles.[17]

Les infractions fiscales

Les infractions fiscales (« tax evasion » ou « tax fraud » en anglais, selon le cas), qui constituent une violation de la loi fiscale comme leur nom l’indique, sont pénalement répréhensibles.[18] Leur point commun est la dissimulation[19] : il s’agit d’un état de fait fiscal réalisé, puis caché.[20]

Commet une soustraction d’impôt[21], celui qui fait en sorte qu’une taxation ne soit pas effectuée –ou ne soit effectuée que d’une manière incomplète–, ou que l’impôt soit remis ou restitué d’une manière injustifiée.[22]La soustraction d’impôt, qui heurte des dispositions spécifiques de droit pénal fiscal, entraîne généralement le paiement d’amendes.[23]

Dans les cas où la soustraction d’impôt est accompagnée de l’usage de titres faux, falsifiés ou inexacts quant à leur contenu, tels que des livres comptables, des bilans et des certificats de salaire ; le comportement sera qualifié de délit d’usage de faux[24] et sera puni de l’emprisonnement ou d’une amende.[25]

Finalement, pour les impôts perçus par la Confédération, tels que l’impôt anticipé, la taxe sur la valeur ajoutée et les impôts de consommation spéciaux, la soustraction d’impôt réalisée sous couvert d’un comportement astucieux peut être qualifiée comme une escroquerie fiscale, réprimée à l’article 14 alinéa 2 de la Loi fédérale sur le droit pénal administratif et passible de l’emprisonnement.[26]

« Vanilla tax avoidance », un terme adéquat ?

Pour revenir aux déclarations de Lord Fink à la lumière de ces informations, force est de constater qu’il a raison sur un point : il existe d’autres mesures plus agressives que l’évasion fiscale (« tax avoidance »). Cependant, ces « autres mesures » sont à fortement déconseiller car elles constituent des infractions fiscales, pénalement répréhensibles.

S’agissant de ses propos sur « vanilla tax avoidance » pratiqué par « tout le monde », Lord
Fink semble avoir confondu « tax planning », que tout le monde peut librement pratiquer, avec « tax avoidance », qui constitue une mesure illicite. S’il ne s’agit pas d’une simple confusion, il incombe aux juristes britanniques d’identifier les parfums d’évasion fiscale qui peuvent être considérés comme étant acceptables, tout en étant illicites (!). Vu le nombre de diverses formes insolites utilisées par les contribuables, la gamme devrait inclure au moins une dizaine de parfums allant de la vanille au chocolat noir.

Alara Efsun Yazicioglu, Consultante pour le magazine Le Monde Economique et Tax and Sports Law Expert

[1] http://www.independent.co.uk/news/uk/politics/generalelection/tory-donor-lord-fink-admits-vanilla-tax-avoidance-but-says-its-ok-because-everyone-does-it-at-some-level-10041424.html.

[2] Ibid.

[3] Oberson Xavier, Droit fiscal suisse, Helbing Lichtenhahn, 4ème éd., p. 65.

[4] Thuronyi Victor, Comparative Tax Law, Kluwer Law International, 2003, p. 156.

[5] Glauser Pierre-Marie (éd.), Evasion fiscale, Une approche théorique et pratique de l’Evasion fiscale, Schulthess, 2010, p. 1.

[6] Cornu Laurence, Théorie de l’évasion fiscale et interprétation économique, Les limites imposes par les principes généraux du droit, Schulthess, 2014, p. 294.

[7] Ibid.

[8] Glauser, op.cit, p. 1.

[9] Thuronyi, op.cit., p. 156.

[10] Cornu, op.cit., p. 298, Oberson, op.cit., p. 66.

[11]Cornu, op.cit., p. 299.

[12]Ibid, p. 296.

[13]Oberson, op.cit., p. 66.

[14]Cornu, op.cit., p. 294.

[15]Ibid.

[16]Oberson, op.cit., p. 69.

[17]Cornu, op.cit., p. 294.

[18]Thuronyi, op.cit., p. 156.

[19]Oberson, op.cit., p. 69.

[20]Cornu, op.cit., p. 294.

[21] En matière d’impôt sur le revenu et la fortune.

[22]Article 175 de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct.

[23]Oberson, op.cit., p. 69.

[24] En matière d’impôt sur le revenu et la fortune.

[25]Article Article 186 de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct.

[26]Oberson, op.cit., p. 69.

 

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