Peut-on vivre de son art en Suisse ?

14 novembre 2011

Peut-on vivre de son art en Suisse ?

L’offre théâtrale suisse s’est depuis bien longtemps diversifiée pour constituer un champ de création singulier, en marge des grands voisins français et allemand. De nombreuses institutions prestigieuses comme le Schauspielhaus à Zurich, le théâtre de Vidy à Lausanne ou la Comédie de Genève rivalisent d’invention et font de la plateforme artistique helvète un lieu incontournable pour les artistes.

Vivre de son métier d’artiste en Suisse est pourtant une mission difficile qui n’a rien d’une douce gymnastique. Les métiers du spectacle se définissent par leur segmentation : horaires de travail irréguliers, embauches plus ou moins spontanées pour des créations qui expirent passée la barre des deux mois, difficulté à rebondir sur le projet suivant dès qu’une mission est arrivée à échéance.

En vérité, c’est un salaire régulier et mensuel qui fait défaut à la quasi-totalité des acteurs culturels de ce secteur atypique. Un problème qui touche plus les acteurs romands que leurs confrères alémaniques, où les théâtres engagent la plupart du temps un personnel fixe.

Outre Sarine, c’est le modèle germanique qui est en vigueur. Un modèle qui privilégie la collégialité et l’idée de troupe permanente. On y pratique un théâtre de répertoire qui permet d’employer des comédiens pour des périodes plus longues. On cherche à fidéliser une clientèle en amoindrissant peut-être les risques. Ainsi on veut privilégier une cohérence thématique de la pratique théâtrale, en contraste avec une plus grande errance esthétique de la création francophone…

Quant aux troupes permanentes, si elles se font rares en Suisse romande, c’est que leur coût effraie. Pour assurer leur survie, une hausse substantielle des subventions serait obligatoire. Il faudrait en effet pourvoir à la rémunération de tous pour l’ensemble des jours travaillés, et non pas uniquement pour les jours de représentation, comme cela est le cas ordinairement.

La question des subventions est primordiale pour appréhender un système qui s’élabore selon le niveau de générosité des cantons. Comme le dit le vieil adage, « la culture est du ressort des cantons ». A ce titre les moyens ne sont pas les mêmes. Un théâtre comme la Comédie reçoit 5 millions de francs par année de son canton, quand le plus grand théâtre de Zurich en touche 32 millions du sien.

Quand un modèle plus resserré est de mise en Suisse alémanique, artistes et projets pullulent en Suisse romande, touchant parfois au vertige. Le secteur y jouit d’une variété exceptionnelle pour l’intimité de son espace géographique, ce dont beaucoup se félicitent avec raison : elle permet une foisonnante mosaïque de possibilités et de sorties.

Malgré tout cette diversité s’accompagne d’une plus grande instabilité économique. Effectuant le plus souvent des missions spontanées, les acteurs vivent pour une bonne part du chômage et des aides. L’équilibre est difficile à trouver… A Genève, l’offre plurielle induit forcément plus de concurrence, et quelquefois de plus grandes difficultés à s’insérer dans la gestation d’un projet. Pour les créateurs, metteurs en scène et auteurs, la patience n’est pas un vain mot. Il faut parfois attendre deux ans avoir de voir un projet se concrétiser. Et que faire pendant ce temps ?

Certains acteurs s’externalisent. Ne pouvant vivre de leur métier, ils transmettent leur passion ainsi que leur savoir-faire aux écoliers ou accompagnent les entreprises au quotidien. Parvenir à capturer son stress ; produire auprès de ses collaborateurs une énergie positive, au moment de prendre la parole en public, par exemple. Les glandes surrénales n’y pourvoient pas toujours. Crise et Compétitivité, ces dévoreuses célèbres, impliquent d’investir d’autres défis, d’autres cercles de compétences ignorées jusqu’à peu. L’art vivant a de l’avenir, vous voyez bien…

La loi sur l’assurance-chômage, votée au mois de septembre, risque malheureusement d’infecter une plaie malade. Les artistes devront ainsi, dès le mois d’Avril 2011, cotiser pendant dix-huit mois sur deux ans pour toucher des indemnités au lieu de douze actuellement. Certains affirmeront avec raison que l’assurance-chômage n’est pas un organe culturel. C’est juste, cela n’a pas pu nous échapper. Mais c’est le caractère hybride de l’espace de création romand qui risque d’en pâtir…

Faustin Rollinat/Redacteur chez Le Monde Economique

 

Recommandé pour vous