RSE : comment l’affectio societatis crée de la valeur pour l’organisation

1 septembre 2018

RSE : comment l’affectio societatis crée de la valeur pour l’organisation

Par Alain Abadie

En plaçant la RSE au cœur de leur stratégie, certaines entreprises parviennent à renforcer l’engagement et la fierté d’appartenance de leurs collaborateurs. Facteur de motivation et de sens au travail, cette démarche est aussi un facteur de performance pour les entreprises.

 

Selon Jacques Igalens, professeur et directeur de recherche à l’ESC Toulouse, après une succession de crises, nous sommes passés d’une RSE « cosmétique » à une RSE « stratégique ». La responsabilité sociale, sociétale et environnementale de l’entreprise n’est plus seulement un moyen de faire bonne impression ou de surfer sur l’air du temps, elle vient désormais se placer au cœur de la stratégie. « Aujourd’hui, le consommateur ne veut pas arbitrer entre le prix et la RSE, il veut les deux, souligne Jacques Igalens. Et les salariés sont encore plus unanimes que les clients pour que leurs employeurs soient de plus en plus « responsables ». Toutes les recherches montrent qu’ils se sentent fiers d’œuvrer pour une entreprise socialement responsable et qu’ils apprécient particulièrement de participer à des initiatives sur le sujet ».

 

Une étude réalisée en 2016 par France Stratégie a mis en évidence un écart de performance de 13 % entre les entreprises qui mettent en place des pratiques RSE et celles qui ne le font pas. « Cet écart de performance peut être dû soit à un effet direct de la mise en place des pratiques RSE, soit à un effet indirect lié à une plus grande efficacité organisationnelle ou à une attractivité renforcée de ces entreprises auprès de salariés plus motivés et donc plus productifs », écrivent les auteurs de l’étude. Aujourd’hui, les programmes RSE sont de plus en plus intégrés dans les directions opérationnelles et les services supports de l’entreprise, la direction de la RSE proprement dite évoluant vers une cellule de quelques personnes. Ils associent également de plus en plus les salariés au choix et à la réalisation des actions. Porteurs de sens, ils contribuent à la fois à l’utilité sociale des entreprises et à l’engagement collectif des salariés au sein de l’organisation, et ce, dans tous les domaines.

 

Santé, alimentation et RSE

 

« Chez Danone, il n’y a pas un endroit spécifique de l’organisation où se trouve le développement durable. Les différents sujets sont traités au sein des différentes fonctions », souligne ainsi Laura Palmeiro, Sustainability Integration Director du groupe. La stratégie qui consiste par exemple à participer au développement des pays les plus pauvres en offrant des produits et des prix adaptés est menée par la division des produits laitiers elle-même. « La RSE est dans notre ADN, depuis la création de notre entreprise, avec l’énonciation de son double projet économique et social, précise Laura Palmeiro. Il est évident que cette culture fait de Danone une marque-employeur de prédilection pour les jeunes générations. Nous sommes dans un cercle vertueux : plus nous travaillons sur ces sujets, plus nous attirons des profils qualifiés intéressés par ces sujets, et mieux nous allons travailler sur ces sujets ».

 

Le groupe s’est fixé des « objectifs 2030 » en ligne avec sa vision « One Planet. One Health » et reliés aux objectifs de développement durable définis par les Nations Unies pour 2030. Hautes exigences en matière de sécurité et de qualité alimentaires, approvisionnements durables, naturalité et transparence… Danone associe dans sa « raison d’être » sa volonté de « redonner tout son plaisir à l’alimentation en innovant sans cesse » et celle de « générer une croissance rentable et durable ». Un double défi que Danone compte relever en étant « l’entreprise qui embrassera le mieux la révolution de l’alimentation ». Danone vise la certification « B Corp », un label qui marque des standards élevés de performance sociale et environnementale. L’entreprise se donne aussi pour mission d’« apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre ».

 

Le groupe souhaite ainsi développer des « marques engagées », « offrant la meilleure expérience client tout en ayant un impact positif sur la santé et sur l’environnement ». Approvisionnement durable, recyclage des emballages, protection des ressources en eau et des sols… Le groupe s’est fixé pour objectif de rendre la totalité de son cycle de production neutre en carbone d’ici 2050. Il développe aussi des plateformes d’innovation sociale, comme Danone Communities, le Fonds Danone pour l’Ecosystème ou les fonds Livelihoods.

 

Danone associe également ses 100 000 salariés à son agenda stratégique. La réalisation des « Objectifs 2030 » s’appuiera ainsi sur un cadre de gouvernance nouveau favorisant l’engagement et l’action de tous. Inspiré du modèle coopératif, il sera fondé sur le principe « une personne, une voix, une action ». « Notre objectif est de confier le futur à nos équipes », a expliqué Emmanuel Faber, le PDG de Danone, lors de l’assemblée générale de l’entreprise, le 25 avril 2018. « Il est temps pour chacun chez Danone de devenir co-actionnaire de l’entreprise ».

 

RSE, lumière et environnement

 

La société Citelum, qui gère les services d’éclairage de plus de 1 000 villes dans une quinzaine de pays, a également placé la RSE au rang de ses priorités stratégiques. Après son rachat par le groupe EDF, qui a une culture historique très forte de service public et de responsabilité sociale, l’entreprise a signé un accord stratégique sur la RSE, intégrant différents volets sociaux internes et externes, autour de la formation et de l’accompagnement des équipes, de l’intégration, de l’égalité hommes-femmes, de la non-discrimination… Citelum réalise tous les ans, partout dans le monde, des enquêtes internes sur la perception des salariés, avec des indicateurs de suivi, qui débouchent sur des plans d’action pour chaque pays. Toutes les équipes sont notamment évaluées en matière de sécurité avec des indicateurs objectifs. Une politique qui permet à l’entreprise d’atteindre en la matière les standards européens dans toutes ses filiales. Vis-à-vis de l’externe, Citelum affiche deux priorités : développer l’emploi local sur les territoires sur lesquels l’entreprise est implantée, et déployer dans tous les pays sa politique « éthique et conformité », qui fixe des règles de conduite des affaires exigeantes auxquelles sont formées toutes les équipes.

 

Sur le plan environnemental, le métier premier de Citelum consiste à générer des économies d’énergie grâce à l’éclairage intelligent. L’entreprise est donc pleinement engagée dans la transition énergétique des villes. Mais elle s’efforce également de quantifier la réduction des émissions de CO2 et l’impact environnemental de ses projets. Elle travaille aussi sur la compensation carbone de l’énergie qui n’a pu être économisée grâce aux infrastructures d’éclairage, en intégrant par exemple des énergies renouvelables. « Dans une entreprise de services à forte intensité humaine, comme la nôtre, les gens viennent travailler parce qu’ils sont fiers de ce qu’ils font. Fiers de travailler à rendre le monde plus beau et plus durable grâce à la lumière, à réaliser des économies d’énergie, à améliorer la qualité de vie des citoyens. Il est donc très facile d’expliquer et de faire partager aux salariés tous ces enjeux RSE », explique Carmen Munoz-Dormoy, directrice générale de Citelum depuis 2016. « De la même manière, comme nous sommes présents avec des filiales locales en Europe, en Amérique du Sud et du Nord, en Inde ou en Chine, la diversité est pour nous une évidence et une richesse », poursuit Carmen Munoz-Dormoy. « Il est donc très facile d’expliquer le pourquoi de la diversité, parce que ces notions sont au cœur de nos métiers et de nos réalités. Et ce sont justement tous ces engagements RSE qui motivent le plus nos salariés ». Citelum est aussi une entreprise très féminisée, les femmes représentant à la fois 33 % de son Comité exécutif, 33 % de son Comité de direction et plus de 50 % de son Conseil d’administration. « Je suis très heureuse que des femmes prennent des responsabilités importantes au Brésil, au Chili, au Mexique ou même en Inde », précise la directrice générale.

 

RH, management et éthique

 

Dans un secteur très différent, l’exemple de Starbucks montre également comment une politique RSE peut contribuer à la fois à améliorer l’image de l’entreprise et l’engagement des ses salariés. Après un développement fulgurant et planétaire, la chaîne américaine de cafés s’est trouvée, à partir de 2007, dans une situation difficile, encaissant une baisse de fréquentation et une chute de 42 % de son action en Bourse. La crise de 2008 n’a pas arrangé les choses, ni le développement de la concurrence. La marque a même essuyé quelques scandales sur les conditions de travail de ses employés et sur la provenance de ses grains de café. Pour redresser la barre, Howard Schultz, le fondateur de l’enseigne, qui avait passé la main en 2000, est redevenu PDG de l’entreprise en 2008. Il a choisi de miser sur l’innovation produit et l’amélioration de « l’expérience Starbucks », mais aussi sur la RSE. Un « agenda de la transformation » a permis de revoir les salaires des employés et d’offrir des bourses aux travailleurs étudiants, afin de développer leur engagement pour l’enseigne.

 

Starbucks s’est également engagé à commercialiser des produits issus du commerce équitable, quitte à payer 20 à 30 % de plus que le prix du marché. Depuis 2015, 100 % des cafés vendus par la marque sont ainsi certifiés « Fairtrade/Max Havelaar », un label qui garantit la protection des producteurs locaux et de l’environnement. Depuis 2013, l’enseigne utilise également des gobelets en plastique réutilisables. Résultat : l’image de l’enseigne s’est améliorée auprès de ses clients et la fierté d’appartenance au groupe s’est développée parmi les salariés. En quelques années, la « valeur » de Starbucks est remontée. Dernière initiative spectaculaire : lors de la publication aux Etats-Unis du travel ban, qui restreint sévèrement l’accès au territoire américain des ressortissants de plusieurs pays musulmans, le PDG de Starbucks s’est engagé à embaucher 10 000 réfugiés d’ici 2022 dans les 75 pays où l’enseigne est présente.

 

Mais à l’heure des téléphones portables et des réseaux sociaux, le moindre écart de conduite d’un salarié peut pénaliser l’image de l’entreprise. Starbucks l’a vérifié à ses dépens lorsque le manager de l’un de ses magasins de Philadelphie a crû bon d’appeler la police alors que deux clients noirs attendaient dans son établissement, sans rien faire. La scène a été filmée et diffusée, obligeant Starbucks à réagir : tous les établissements du pays ont été fermés une journée pour dispenser une formation sur les discriminations, le PDG s’est excusé et le manager concerné a été mis à pied. Un épisode qui montre bien que les engagements, quels qu’ils soient, doivent être incarnés par tous les collaborateurs de l’entreprise.

 

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