Trop d’allocations ne favorisent pas un retour à l’emploi

10 novembre 2011

Trop d’allocations ne favorisent pas un retour à l’emploi

Le prix Nobel d’économie 2010 couronne les analyses des Américains Peter Diamond et Dale Mortensen et du Britannique d’origine chypriote Christopher Pissarides. Les trois chercheurs ont essayé de résoudre l’énigme de la non- rencontre entre l’offre et la demande sur le marché de l’emploi et le paradoxe d’un taux de chômage restant toujours élevé dans les conditions d’une pénurie d’effectifs et de difficultés de recrutement dans certains secteurs de l’économie.

Une des réponses possibles est plutôt une évidence que les nobélistes de 2010 ont le grand mérite de prouver: « Plus les allocations chômage sont importantes, plus le taux de chômage est élevé et plus la durée de recherche est longue ». Au contraire, écrivait Christopher Pissarides dans son ouvrage « Equilibrium Unemployment Theory », l’intensité accrue de la recherche d’emploi constitue l’un des facteurs puissants de la baisse du chômage.

Cet analyste britannique d’origine chypriote prônait l’introduction d’une taxation progressive pour atténuer les effets dissuasifs des allocations sociales relativement assez élevées. Les effets dissuasifs du système d’allocations constituent probablement la principale mais pas la seule réponse à la dramatique non- correspondance entre l’offre et la demande de travail. Chacun de son côté, Diamond, Mortensen et Pissarides ont réfléchi sur les meilleures méthodes de rendre possible la rencontre entre les acteurs respectifs de l’offre et de la demande. Pissarides va jusqu’à dire qu’une politique économique structurelle qui privilégierait la recherche de ces méthodes serait plus efficace que celle qui miserait surtout sur la création expresse de nouveaux emplois…

D’une manière directe ou indirecte, le Prix Nobel d’économie 2010 actualise un vieil antagonisme, celui qui opposerait la conception protestante- calviniste du travail à une vision humaniste et à l’idée d’un épanouissement personnel transgressant le cadre strict du travail lucratif.

Par ailleurs, le système des allocations sociales qui, dans nos sociétés occidentales contemporaines, sont suffisamment élevées pour couvrir les frais des nécessités quotidiennes des chômeurs est sans doute tributaire de cette vision humaniste. Ce système soulage les intéressés de leurs préoccupations les plus immédiates et valorise leur temps libre destiné désormais à des activités d’accomplissement personnel. Aussi curieusement que cela puisse être, la crise économique et financière est venue accréditer ce modèle de société : de nombreuses personnes se sont retrouvées au chômage et le travail a tendance à se concentrer entre les mains d’une minorité.

D’autre part, le concept de l’épanouissement personnel ne cesse pas de bénéficier d’une forte publicité : à un large public dont les chômeurs représentent la partie essentielle, on vante les bienfaits du temps libre, les douceurs d’un hobby cultivé avec intérêt voire avec dévotion, l’investissement dans le loisir et la culture. Et tout cela – grâce à des allocations sociales d’une valeur assez largement suffisante pour couvrir des nécessités de premier ordre, celles qui ont rapport à la subsistance quotidienne et qui vont même au-delà de la simple subsistance …

Le Prix Nobel 2010 d’économie constitue dans ce sens une surprise et une rupture : récompensant des analyses qui dénoncent le caractère dissuasif, dans le processus de recherche de travail, des allocations relativement élevées, le « Nobel » consacre le modèle traditionnel de la société capitaliste et œuvre clairement pour une motivation accrue du chômeur en vue d’un réengagement dans le travail lucratif. Un modèle « réac », trop « néo- liberal », trop « américain » ?

Ce n’est pas si sûr, même si cela en a l’apparence. Pensons plutôt aux méfaits soigneusement cachés de son alternative, de cette utopie cruelle évoquée plus haut qui, sous un semblant de justice sociale, transformera la majorité des gens en assistés de plus en plus inertes et amorphes et qui les mettra sous une étroite dépendance des faveurs d’une minorité privilégiée.

Pensons aussi au risque bien réel de voir cette minorité prendre bientôt l’allure d’une dictature et s’emparer du monopole de toute initiative auprès d’une majorité chez laquelle l’esprit d’initiative serait déjà étouffé et qui aurait commencé à se complaire dans une vie de non-engagement et de paresse. Ou encore de cette paresse active que constitue le plus souvent, disons-le sans ambages, le « travail- loisir ».

Ainsi, il n’y a pas d’épanouissement là où la flamme sacrée de l’initiative propre ou privée se trouve éteinte. Même la plus brillante République des lettres et des arts, si elle se construit sur des bases aussi douteuses, ne vaudra jamais une société de marché dont les membres sont animés de l’esprit de responsabilité personnelle, d’amour du travail et de désir d’une amélioration constante.

Par D. Damianova, rédactrice chez MONDE ECONOMIQUE

 

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