Interview de Claude Michaud, Directeur de l’incubateur Essaim

31 décembre 2011

Interview de Claude Michaud, Directeur de l’incubateur Essaim

Le Monde Economique Un incubateur d’entreprises est une structure d’accueil, de conseil et d’accompagnement pour ceux qui ont un projet de création d’entreprise. Issu de la Chambre de l’économie sociale et solidaire APRÈS-GE, en quoi l’Essaim se distingue-t-il des autres incubateurs ?

Claude Michaud Essaim se distingue des autres dispositifs à la création d’entreprises sur quatre principaux aspects :

1) Essaim est un incubateur de la Chambre de l’économie sociale et solidaire, APRÈS-GE, donc fonctionne et promeut les valeurs de cette économie qui place l’humain avant la maximisation du profit.

Même si nous accompagnons aussi des projets à but lucratif, les porteurs qui se présentent à notre porte sont naturellement sensibles à ces valeurs et prêts à les incorporer progressivement dans leur mode de fonctionnement.

2) Essaim vient combler une lacune dans le soutien à la création d’entreprises moins technologiques et fortement créatrices d’emplois et avec une perception différente de l’innovation. Notre incubateur soutient volontiers des projets d’auto-emploi, dans les domaines moins prisés par les incubateurs classiques, que ce soit dans des secteurs de l’artisanat, du service à la personne ou encore dans le social.

3) Si l’on considère que le lancement d’une entreprise passe au moins par quatre étapes initiales – étude de faisabilité, phase d’implantation, phase de décollage et phase d’envol – force est de constater que les dispositifs

traditionnels de soutien à la création d’entreprises ne couvrent que très rarement plus de deux de ces étapes. Essaim peut être considéré comme un apprentissage à l’entrepreneuriat, de l’étude de faisabilité à la phase d’envol, alliant théorie et pratique dans un parcours progressif.

4) Essaim offre aussi une approche diamétralement opposée aux autres dispositifs. Au lieu de « créer sa structure juridique et tester ensuite sa viabilité », nos porteuses et porteurs de projets peuvent « tester leur marché en grandeur nature et deux à trois ans après, à la sortie de l’incubateur, créer leur structure juridique.

Le Monde Economique Généralement, la sélection des candidats au sein d’un incubateur d’entreprise se fait sur la base d’un business plan, de la personnalité du porteur et du potentiel du projet. Est-ce sur cette même base que l’Essaim effectue sa sélection ?

Claude Michaud Là encore, l’approche est sensiblement différente. Premièrement, les personnes qui viennent nous voir ont rarement un plan d’affaires en mains ; c’est justement lors de l’étape de l’étude de faisabilité de leur idée qu’ils apprendront à créer leur modèle d’affaires et écriront le fameux « business plan », s’ils en ont la nécessité pour trouver des fonds ou des partenaires.

Deuxièmement, nous essayons de favoriser l’auto-sélection, c’est-à-dire la capacité de décider par soi-même si le projet est viable et si l’on a les compétences et le savoir-être pour le mener à bon terme. Il est cependant clair, dès le départ, que nous n’accompagnerons pas des projets dont l’éthique et les valeurs qui les soutiennent sont trop éloignées des nôtres ou dont la viabilité nous paraît plus qu’incertaine.

Le Monde Economique La loi de l’offre et de la demande correspond de plus en plus à une modélisation abstraite parfois bien éloignée de la réalité. Pensez-vous qu’il soit encore possible de nos jours de créer une entreprise avec un minimum de risque ? Justifier votre réponse.

Claude Michaud Déjà Honoré de Balzac nous écrivait : « En toute affaire, les bénéfices sont en proportion avec les risques ». Ma réponse pourra paraître une réponse de normand : cela dépend de ce que l’on considère un minimum de risques !

Minimiser les risques, c’est avant tout les connaitre ou anticiper leur existence, puis les analyser, en termes de de probabilité et impact. C’est seulement après cette analyse que l’on pourra réagir, pour en diminuer leur probabilité, lorsque c’est possible, les éviter, ou encore en réduire l’impact et définir comment se « retourner » lors de leur concrétisation. Le risque zéro n’existe pas et une des caractéristiques de l’entrepreneur est de prendre des risques… calculés. Ceci est aussi vrai pour nos porteuses et porteurs de projets.

Dans notre incubateur, le risque est sensiblement diminué, par un accompagnement « serré » pendant deux à trois ans et la libération initiale du fardeau administratif et comptable, ne laissant au porteur de projet que la préoccupation de « vendre et faire ses prestations ». Ce n’est que progressivement, au fil des premiers semestres qu’il devra apprendre toutes les ficelles de l’entrepreneuriat. L’objectif est de transformer une mortalité de plus de 50% en 5 ans, comme nous le montrent les statistiques suisses, en des chances de survie de plus de 80% à 5 ans.

Finalement, étant bénéficiaire d’un contrat de travail, il ne pourra pas se retrouver dans la précarité assurantielle de près de la moitié des indépendants qui n’ont, par exemple, pas de deuxième pilier.

Le Monde Economique Face au marché qui est davantage tourné vers la recherche effrénée du profit, comment l’Essaim peut-il rester fidèle aux valeurs d’une économie sociale et solidaire (ESS) ?

Claude Michaud Ce marché tourné vers une recherche effrénée du profit représente une économie reconnue aujourd’hui comme extrêmement fragile et susceptible de jeux de domino néfastes.

D’après une récente étude statistique réalisée par APRÈS-GE, ainsi que celles réalisées en France d’autres pays, l’économie sociale et solidaire représente environ 10% des emplois. Cela signifie que plusieurs millions de personnes considèrent les valeurs de l’ESS plus appropriées que celles de ce marché de maximisation du capital et d’individualisme stérile.

Ce ne serait donc pas par manque d’opportunités de projets économiques, sociaux et solidaires qu’Essaim devrait renoncer à défendre les valeurs de l’ESS. Au contraire, la conjoncture actuelle et les questionnements qui s’en suivent dans la société ne sont que des encouragements à promouvoir une économie saine et durable.

Le Monde Economique Détermination et indépendance des crédits rendent possible la création d’une entreprise par une personne seule avec peu de moyens. Mais dans le contexte économique actuel, créer une entreprise, est-il encore raisonnable ?

Claude Michaud Si l’on considère que 25’523 entreprises ont été radiées en Suisse, rien qu’en 2010, on peut supposer que créer une entreprise est totalement déraisonnable. Mais si l’on sait que 37’695 entreprises se sont créées dans la même période, selon l’institut Creditreform, cela veut-il dire que plus de 12’000 personnes ont perdu la raison ?

Créer une entreprise en suivant le schéma et les stéréotypes traditionnels est certainement peu raisonnable, en relation à l’incertitude du contexte économique actuel. Par contre, innover en réinsérant des valeurs de bon sens, partiellement oubliées, dans la réflexion initiale de la création est sans aucun doute bien plus raisonnable. L’importante résurgence des formes associatives et coopératives lors de ces dernières années nous prouve que la raison existe, mais pas toujours où l’on imagine qu’elle se trouve. Définitivem
ent oui ! Soyons raisonnables et lançons des entreprises, créatrices de richesse, mais respectueuses de l’environnement et préoccupées par l’intérêt collectif.

Interview réalisée par Thierry Dime

 

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